Les vignes du Clos Montmartre, en route vers la qualité ?
On aime à se moquer du vin aigrelet de la butte Montmartre, élaboré à partir des maigres pieds de vignes poussant dans le petit jardin du célèbre quartier parisien, face au restaurant le Lapin Agile. Depuis 1933, ce petit clos de quelques 2000 ceps est l’un des derniers vestiges du passé viticole de Paris et d’Ile-de-France. A l’occasion des vendanges du millésime 2014, le Clos cherche à passer un cap et embrasse la mode avec la sortie d’un vin désormais décliné en rosé. Halte à la piquette, vivent les paillettes !
Le vin et les parisiens, toute une histoire
Sous les contrées relativement froides et pluvieuses de l’Ile-de-France, la présence de la vigne est pourtant attestée dès le IVe siècle, comme le rappelle l’Empereur Julien (cf. Vignobles d’Ile-de-France, par Gilles Ragache et Hervé Luxardo). D’ailleurs, au bas de Montmartre, le quartier de la Goutte d’Or, d’où croyez-vous qu’il tirerait son nom ? Des changeurs de métaux précieux ? Et bien non, du vin qu’on y produisait pardi ! Bref, la vigne enroule à Paris ses pampres le longs des échalas et des murets de pierres. Elle devient si répandue qu’à la fin du Premier Empire, avec 40.000 hectares de vignes recensées en Ile-de-France, le vignoble francilien est l’un des tout premiers du pays, devant, à l’époque, la mer de vignes qu’allait devenir le Midi.
Puis, progressivement, avec l’industrialisation du pays, le besoin de loger une population de plus en plus citadine, et la possibilité, grâce au chemin de fer, de faire venir du vin à bas prix depuis les régions ensoleillées du Sud de la France, la vigne commence à régresser inexorablement autour de Paris.
A la Belle Epoque, quelques ceps de vignes poussaient encore sur les coteaux de Montmartre, mais rien ne peut arrêter le recul de la vigne, si bien que dans les années, 30, seulement 250 hectares, pour toute l’Ile-de-France, sont encore plantés de vignes. Et c’est au moment où l’activité viticole perd son intérêt économique qu’elle gagne sa portée symbolique. En 1929, l’illustrateur Poulbot décide d’occuper, avec le collectif des Amis de Montmartre, une friche de 4000 m2 (la parcelle fait officiellement,aujourd’hui, 1556 m2), l’un des derniers espaces non construits de la butte. Il y plante symboliquement des pieds de vigne l’année suivante, pour obliger la mairie à conserver le lieu. En 1933, l’affaire est entendue, Poulbot et sa vigne sont vainqueurs, l’ancien terrain vague deviendra le Clos Montmartre.
Le Clos Montmartre, un défi à la viticulture de qualité
Engoncé entres les immeubles début de siècle de la butte, le site du Clos Montmartre n’est pas ce que l’on peut appeler un grand terroir. En effet, situé sur un coteau escarpé orienté plein nord, il capte mal les rayons du soleil parisien, et ne se réchauffe pas beaucoup. Quant au sol, sableux et gréseux, très maigre, mal amendé, il entraîne des carences (chlorose, magnésium…) sur la vigne. Enfin, le climat pluvieux et humide favorise le développement de champignons parasites, comme l’Oïdium et le Mildiou… Quand ça veut pas, ça veut pas !
Concernant la vigne elle-même, les rangs sont complantés, c’est à dire qu’un peu plus de 60 cépages différents, dont un tiers de variétés hybrides peu qualitatives, sont mélangés au petit bonheur la chance. Et encore, si les variétés avaient été sélectionnées en fonction du sol et du climat ! Car elles proviennent de différents dons de confréries vinicoles des coins de France. On croise donc aussi bien des raisins de table que des cabernets sauvignons adaptés au soleil du sud, au milieu d’autres cépages rouges ou blancs (et même quelques pieds de raisins gris).
Avec de telles conditions, allez faire un vin rouge de qualité, avec en plus des exigences en terme de quantité de bouteilles à produire chaque année (autour de 1.000), car le fruit des ventes du nectar doit financer les œuvres sociales de Montmartre. On ne peut se permettre de jeter, par des vendanges en vert ou des tris drastiques, aucune baie.
Si le millésime 2013 était pourri, celui de cette année, grâce à une fin d’été plutôt clémente, est relativement correct. Les raisins, vendangés à la main jusqu’à la dernière grappille, sont plutôt sains, peu attaqués par les maladies. En fonction du zèles des vendangeurs, les grappes les moins mûres ou les très abîmées ont même été écartées cette année.
Le vin rosé de Montmartre, plus qu’une mode, un choix de raison
Pour être bon et équilibré, un vin rouge doit être élaboré à partir de raisins bien mûrs et bien sains. Impossible dans les conditions actuelles. Même si la taille de la vigne a été revue, afin d’augmenter la surface foliaire des ceps, pour favoriser la photosynthèse, les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour arriver à cet objectif. Forte de ce constat, Sylviane Leplâtre, œnologue montpelliéraine arrivée pendant la période des vendanges 2013, a commencé à faire évoluer les choses.
Après discussion avec le comité des fêtes, exit le rouge, passage au vin rosé. En effet, peu de tanins, pas très mûrs, des acidités élevées, autant de caractéristiques des raisins qui font pencher la balance vers le choix d’un rosé de pressurage, léger et acidulé. Surtout que le matériel de la cave de vinification, situé sous la mairie du XVIIIème arrondissement, en bas de la butte, est limité : un érafloir de maison de poupée, un pressoir vertical en bois – manuel et trop mignon – ainsi que deux petites cuves en inox à chapeau flottant complétées par une cuve en fibre de verre pour le débourbage, forment l’ensemble du matériel. Pas de fûts, de pompes, de filtre… Juste une petite machine de mise en bouteilles par gravitation et une boucheuse à main. Autant dire rudimentaire ! Pas le droit à l’erreur dans les vinifications, ni premier vin, ni tête de cuvée pour séparer le bon grain de l’ivraie.
Une viticulture plus respectueuse de l’environnement
Vu la pollution parisienne, on part de loin avant d’arriver à une parcelle bucolique digne de La petite maison dans la prairie (et quand bien même, essayez donc de dévaler en robe un coteau de vignes plantées transversalement à la pente, pour voir !). Mais des efforts sont entrepris dans le Clos pour limiter l’usage d’intrants de synthèse. A la vigne, grâce à la confiance gagnée auprès des équipes du comité des fêtes (dont Eric, le trésorier, également assistant technique à la cave) et des jardiniers de la mairie de Paris, l’oenologue a pu convaincre les équipes de faire évoluer les pratiques. Outre la taille d’hiver, plus étalée, un mulch naturel est apporté au pied des vignes, entre chaque bande enherbée du petit Clos. Il permet de lutter contre les mauvaises herbes en les étouffant, et évite ainsi les épandages d’herbicides. Autant de temps gagné pour que les équipes soient plus réactives pour traiter les vignes à la bouillie bordelaise au printemps quand le temps est menaçant. Une orientation vers des pratiques plus Bio, même si la certification ne vaut pas le coup pour une si petite production. A terme, le sols va pouvoir recevoir des corrections, sous forme d’amendements, et les pieds de vignes de 60 ans d’âge moyen vont pouvoir être remplacés petit à petit par des variétés plus précoces, adaptées au gris climat parisien.
Et le goût du vin dans tout ça ? [modifié le 20/10/2014]
Et bien nous l’avons goûté en participant aux festivités de la fête des vendanges de Montmartre, qui offre l’occasion de s’en payer un godet ! 8 euros les 4 cL, le prix d’un Grand Cru Classé de Bordeaux, mais pas la qualité malheureusement… C’est peu aromatique, pas très net au nez, avec un goût acidulé… Au moins la couleur est jolie et surtout, on l’achète pour la bonne cause : l’argent permet d’aider les oeuvres sociales de la Buttes, dans l’esprit de l’engagement de Poulbot à son époque pour les enfants déshérités de Montmartre !
La photo d’illustration de l’article est empruntée au site : www.parisrevolutionnaire.com