L’évolution de la hiérarchie des vins : de l’AOC à l’icon ?
En France, la logique de la création des appellations d’origine contrôlée en 1935, puis la création des vins de pays et des vins délimités de qualité supérieure visait à hiérarchiser les vins en fonction de leur qualité, selon un bon vieux schéma pyramidal, à large base, avec de moins en moins de volumes au fur et à mesure que l’on montait en qualité (fig. 1). En théorie, le consommateur pouvait facilement se repérer dans cette classification : beaucoup de vin de table, pas vraiment bon et pas cher, et peu de grands vins fins, d’appellation d’origine contrôlée, forcément plus chers…
Au départ, cette construction reposait sur une hiérarchie des terroirs, fruit d’une multitude de facteurs historiques, géographiques, politiques, commerciaux… Elle a fixé progressivement dans le marbre les règles de production. Or aujourd’hui, ce beau schéma, sorti des têtes pensantes de l’époque, est devenu progressivement de plus en plus bureaucratique pour finir par être inadapté aux réalités nouvelles. Séduisant en théorie, ce classement n’a plus de réalité en terme de qualité et de quantité de vins produits ! La pyramide est devenue une sorte de sablier (fig. 2). De moins en moins de vins produits en France sont classés en vin de table, et de plus en plus en AOC.
Un observateur optimiste se dirait que la qualité des vins a donc augmenté. Il n’aurait pas complètement tort, la qualité des vins a globalement augmenté au cours des dernières décennies. L’observateur pessimiste, quant à lui, se dira avec raison que la structure actuelle des appellations ne permet plus de discriminer les vins en fonction de leur qualité. Quand plus de la moitié de la production se situe dans la tête du classement, forcément, il y a du bon, et du moins bon, voire du vraiment mauvais…
Et pour compliquer le tout, les vignerons tentant de s’affranchir du carcan réglementaire étroit des AOC se voient obligés de produire dans la catégorie « vin de table », comme Michel Rolland et son Défi de Fontenil (dans les 40 euros) ou les vins de vignerons bio et naturels comme la cuvée « Petit bonhomme de chenin » de Nicolas Réau, en Loire (bien plus abordable, mais dans les 10 euros tout de même). Et voilà un bel édifice qui vole en éclat, et ne permet plus aux consommateurs de choisir leur vin les yeux fermés.
En parallèle, les vins de l’ancien-nouveau monde (les États-Unis), du nouveau-nouveau monde (hémisphère sud) et du tout-nouveau-nouveau monde (Chine, Corée du Sud et Inde) ont déboulé dans les verres et sur les tables des consommateurs du monde entier qui se fichent comme d’une guigne de la belle classification des vins français. La hiérarchie des AOC ne permettant plus de classer les vins, il a fallu passer à un classement plus en adéquation avec le nouveau monde du vin, celui du marché mondial, reposant donc sur les prix, reflétant peu ou prou la rareté (Fig. 3). On retrouve ainsi une hiérarchisation des vins en fonction des prix moyens de ventes, de Basic (moins de 5$) à Icon (plus de 50$), en adéquation avec les volumes produits.
Certes, cette nouvelle hiérarchie peut paraître moins séduisante et plus prosaïque que l’ancienne, mais elle a le mérite d’être le reflet de la consommation des vins d’aujourd’hui. Elle permet d’englober un nombre toujours croissant de styles de vins différents (terroir ou cépage, naturel ou technologique, rustique ou moderne, à boire jeune ou à conserver…). Reste à chaque producteur de vin de faire le vin qui lui plaît, et de cerner le créneau de marché le plus approprié à son style de produit et ses coûts de production. Plus facile à dire qu’à faire… Et pas beaucoup plus clair pour le néophyte cherchant un bon vin à moins de 10 euros.
NB : Pour aller plus loin dans la compréhension des enjeux de la viticulture aujourd’hui, n’hésitez pas à vous procurer cet excellent ouvrage des éditions autrement dont est tiré la figure 3 : L’Atlas mondial des vins – la fin d’un ordre consacré ?