VDV #71 – Mots du vin : le gras
De nos jours, encenser gras et vin, dans un même billet, tiendrait presque de la provocation. Oui, le vin, grâce à son acidité naturelle, est le plus excellent partenaire de la gastronomie grasse et savoureuse. Aimer manger, aimer le goût, c’est donc aimer le gras de qualité, et son compagnon de tablée, la dive bouteille. Gras et vin sont donc intimement liés ; d’ailleurs, ne dit-on pas « se graisser le toboggan », quand l’on boit du vin à grandes lampées ? Mais si les vins sont acides, pourquoi dit-on , au sujet de certains d’entre eux qu’ils ont du gras ?
Les amateurs et blogueurs de vins des deux sexes ont souvent un défaut, ils sont gourmands (et bavard aussi, le vin aidant). Chez eux, avec l’âge, comme pour un bon vin, souvent la rondeur s’installe, doucement, adoucissant de ses courbes leur silhouette. Comme le vin disais-je, car le vocabulaire de la dégustation emprunte énormément à l’anthropomorphisme. Un vin gras est, au moins depuis le XIVe siècle, un vin riche et enveloppé en bouche. Certains font même remonter son origine aux Hellènes, qui utilisaient liparos (gras, onctueux) pour décrire les vins riches et moelleux. Un vin gras sera donc le contraire d’un vin maigre, vous l’aurez compris ; plein, ventripotent, doux au toucher, et non sec comme un coup de trique.
Quelle est l’origine du gras ? Est-il une maladie à combattre ? Faut-il le chasser de nos bouteilles à grand renfort de mangerbouger.fr et décourager les buveurs en mentionnant le nombre de calories sur les étiquettes ? Ne parle-t-on pas de maladie de la graisse à propos de certains vins ?
Pour remettre les choses en ordre, il y a comme en toute chose, bon et mauvais gras. Le mauvais, c’est celui causé par certaines bactéries, les Pediococcus, qui produisent des glucanes rendant visqueux voire huileux le vin. Mais cette maladie honteuse du vin a disparu, car comme en cuisine, l’hygiène au chai a fait des progrès (il paraît que les vignerons ont l’eau courante aujourd’hui). Le bon gras, quant à lui, c’est l’onctuosité naturelle du vin apportée par l’alcool, le glycérol, et les manoprotéines formant les parois des levures responsables de la fermentation. C’est d’ailleurs bien souvent en mettant son vin en barriques, elles aussi dotées de formes généreuses, que le vignerons va accentuer le gras du vin.
En dégustation, le gras est souvent associé à la rondeur. C’est un terme bien plus employé pour les vins blancs que les vins rouges, dont les tanins (séchants) viennent changer la perception du vin en bouche. On trouvera donc souvent ce terme mentionné pour les vins blancs traditionnellement élevés en barriques, riches et tapissant au palais, comme de nombreux Bourgognes blancs de qualité. L’âge aidant, il vaut mieux attendre quelques années que ces vins prennent un peu de couenne. Que manger avec ? Soit rien, soit des plats riches et onctueux, de la bonne cuisine traditionnelle au beurre, à la crème, ample et grasse à souhait, tant qu’on le peut.
Retrouvez sur le Blog des Vendredis du Vin les articles sur ce thème : le gras c’est la vie.
Rem : pour le vocabulaire de la dégustation, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture des ouvrages de Martine Courtois (Belin) et Martine Coutier (CNRS Edition)