Le Champagne rosé, hype depuis plus de 250 ans
Le sein mutin de la Pompadour aurait inspiré le galbe des premières coupes à Champagne, à une époque où, dans la Haute, on savait s’amuser. Le Champagne vivait, en ce début du XVIIIème siècle, ces premières années de faste, jamais démenties depuis. Mais les belles des plus grandes cours d’Europe succombaient-elles au marketing du rosé girly, et d’ailleurs le buvaient-elles « on the rocks » avec des glaçons ?
Aujourd’hui, le Champagne rosé coule à flots, chaque année, les producteurs vendent de plus en plus de cette boisson miraculeuse qui permet, en ajoutant un peu de vin rouge dans l’assemblage des vins blancs, d’augmenter sensiblement les prix de la bouteille. Le succès est tel que l’on pourrait craindre justement que toutes les Maisons se contentent de surfer sur la vague, sans chercher forcément la qualité (Qu’importe le flacon…). Mais le moderne «rose kawaï », qui plaît tant à nos contemporains, était-il accordé au bon goût des soirées mondaines et de la noblesse dépravée ?
Au cours du XVIIIème siècle on buvait donc le Champagne de toutes les couleurs, blanc, rouge ou oeil de perdrix (le rosé ou roset à l’époque), et souvent encore, tranquille donc sans bulles. Mais peu-à-peu, le champagne pétillant s’imposa et les bulles devinrent de plus en plus prisée. Marie-Antoinette le buvait-elle à la fois pétillant et rosé ?
Difficile de savoir, il faut s’en référer aux archives. Heureusement, les Maisons de Champagne, c’est un peu comme les gens, plus elles vieillissent, et plus elles entassent du bric-à-brac et des papiers qui prennent la poussière et l’humidité. Or, en Champagne, certaines Maisons ont atteint un âge aujourd’hui vénérable, ce qui est bien pratique pour les archivistes. Ainsi, de temps en temps, on déniche des trouvailles, comme la plus vieille bouteille de Champagne rosé encore pleine chez Moët & Chandon ou encore, d’anciens livres de comptes et documents répertoriant les commandes passées.
A ce jour, la plus vieille livraison de bouteilles de Champagne rosé était attribuée à la Maison Cliquot, en 1775 (source : Tom Stevenson, Christie’s world encyclopedia of Champagne and sparkling wines). Mais voici qu’une historienne champenoise, Isabelle Pierre, a retrouvé récemment dans les archives de la Maison Ruinart (la plus ancienne) la trace d’une expédition d’un «panier de 120 bouteilles dont 60 bouteilles oeil de perdrix mousseux 1762» » datant de 1764, adressée M. le baron de Welzel, grand échanson de S. A. S. le duc de Mecklembourg-Strelitz. S’ensuivirent des expéditions à l’Impératrice d’Autriche et autres prestigieux commanditaires. Ruinart peut ainsi revendiquer une ancienneté de plus de 250 ans pour son vin rosé, d’ailleurs parmi les plus réputés aujourd’hui.
Nobles, roués et favorites roulaient donc sous les tables en s’abreuvant copieusement de Champagne, et pouvons-nous l’imaginer, de temps en temps avec du Champagne rosé. Reste encore à trouver s’ils y ajoutaient des glaçons.