Quel vin boivent les Hobbits ? Etat des connaissances sur les vins au troisième Age de la Terre du Milieu
Tous les lecteurs du Seigneur des anneaux savent que les Hobbits sont portés sur la bonne chair, et aiment par dessus tout se bourrer une bonne pipe à la fin du repas. Ils ne rechignent pas non plus, à l’instar des nains, à se vider dessus d’abondantes chopines de bière et de cervoise, mais qu’en est-il du vin ?
Une réception inattendue
Le climat de la Comté et d’une bonne partie des Terres du Milieu, relativement frais et pluvieux, semble a priori peu adapté à la culture de la vigne, du moins dans les régions traversées par nos compères aux pieds velus. Pourtant, à plusieurs reprises, nos amis se versent quelques godets au coin du feu, et les caves des Frodo sont remplies de vieux et bons vins. D’où vient-il ? Quel goût a-t-il ? Capitales questions sur lesquelles se sont penchés les experts…
Avant de s’intéresser à nos joyeux ivrognes Hobbits, partons un peu plus à l’Est, au pays des Elfes, rencontrés dans les aventures de Bilbo. On sait que les Elfes de Mirkwood aiment à boire le vin apportés par vois d’eau, en tonneaux, depuis les terres de leurs parents du sud ou des hommes des terres lointaines… En s’adossant aux connaissances historiques, nous pouvons facilement en déduire que ce vin est très certainement proche du claret, ou des vins friands et légers du Moyen-Age. Mais, le Roi se fait également servir, généralement à l’occasion de festivités, un vin puissant et capiteux, en provenance des jardins de Dorwinion, qui comme tout un chacun le sait, se trouvent à l’Est, près de la mer de Rhûn.
Un vin capiteux destiné aux princes et non à la plèbe, bu dans des coupes plus petites, au fort pouvoir enivrant, en provenance de vignes situées dans une région au climat continental abritant un mer intérieure ? Mais pardi, ça ressemble à la Hongrie ! Et vu le goût certain des Elfes pour les produits de luxe – les Noldors ont inventé le snobisme -, il y a fort à parier que Thranduil (le Roi des Elfes pour ceux qui ne suivent pas) ne se fait pas servir de la piquette, mais plus vraisemblablement un vin liquoreux, capiteux, à la robe dorée, à la saveur riche et sucrée… En bref, le vin de Dorwinion est certainement très semblable au Tokaji escenzia, boisson souveraine de la Cour des princes européens au XVIIème et XVIIIème siècle, mais aux origines bien plus anciennes !
De l’herbe à pipe
Quittons maintenant les elfes et retournons à nos Hobbits joufflus. D’après le Seigneur des Anneaux, il se trouverait, dans le sud de la Comté, la région du Southfarthing, dotée d’un microclimat plus chaud et ensoleillé, qui servirait de berceau à un puissant vin rouge appelé Old Winyard, conservé en bouteilles et s’appréciant avec le temps. Etant donné qu’il parvient à maturité au bout de plusieurs décennies (il a été acheté par le père de Bilbo), il semblerait donc qu’il ne s’agisse pas d’un simple claret, mais plutôt d’un vin noir et puissant, à l’instar des vins du Sud-Ouest français (Cahors, Madiran…) qu’appréciaient les Hollandais au XVIIème siècle (nulle trace d’échanges marchands avec la Comté à l’époque cependant, Saroumane les a certainement détruite pendant son bref passage).
Autre fait allant dans le sens de notre hypothèse : le Southfarthing est également la région dans laquelle nos petits amis cultivent leur herbe à pipe. Or, le tabac (les analyses du génome de l’herbe à pipe on montré que les deux plantes ont un ancêtre commun), depuis le XVIIème siècle, est cultivé en France essentiellement sur les rives du Lot et de la Garonne, régions produisant le Cahors et le Madiran… Et d’ailleurs Merry et Pippin, dans la reconstitution historique rigoureusement exacte de Peter Jackson, traversent des champs de maïs, plante importée à peu près à la même époque dans le Sud-Ouest.
Le retour du Roi
Revenons à notre herbe à pipe, sachant qu’elle ne pousse pas naturellement dans la Comté, d’après l’auteur, mais qu’elle se trouve à l’état naturel en Gondor et plus au sud, on peut estimer que les héritiers de Numénor ont su choisir des terres pouvant accueillir la vigne. D’ailleurs, l’essentiel du climat gondoréen, au moins sur la côte, se rapproche de notre climat méditerranéen, favorable à la culture de la vigne… D’après les vestiges architecturaux des cités gondoréennes connues telles la blanche Minas Tirith ou le port marchand de Pelargir, et la maîtrise avérée des héritiers de Numénor de la mer au troisième âge, nous pouvons presque certainement envisager que l’Intendant du Gondor, qui cela étant ne sait absolument pas se tenir à table, se fait servir un vin de vernaccia (malvoisie italienne, cépage proche du grenache Espagnol). C’était très certainement un cru proche de ceux de Cinqueterre, vignobles italiens escarpés de la côte ligure, réputés lorsque Venise dominait le commerce méditerranéen : des vins riches et concentrés, car produits majoritairement à partir de raisins secs… Malheureusement, nous manquons encore de données sur la viticulture gondoréenne du troisième âge pour connaître les différents crus avec précision.
La pauvreté des ressources bibliographiques sur le sujet, la place prépondérante donnée à certains auteurs (de quel droit JRR Tolkien c’est-il approprié le sujet ?), le manque de distance critique sur ce qui fait pourtant partie de l’histoire des peuples anciens, sont des limites à notre investigation ; mais gageons que les récentes découvertes archéologiques qui permettent de situer avec certitude la Terre du Milieu en Nouvelle-Zélande nous permettront d’affiner, à l’avenir, notre connaissance des vins de ces contrées oubliées…
Par ailleurs, pour une histoire édifiante du vin, n’hésitez pas à lire l’indispensable ouvrage d’Hugh Johnson : « Une histoire mondiale du vin de l’Antiquité à nos jours ». Les recherches de références au vin dans les ouvrages de Tolkien sont faite grâce à Google Book, nous serons preneurs de toute information ayant pu échapper à notre sagacité avinée.